Ce carnet traite des principes et des méthodes de la terminologie ainsi que de techno-langagerie. Yvan Cloutier, terminologue

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Cyber-langagerie

mardi 4 novembre 2008

Une communauté d'agents intelligents

Les spécialistes de la toile mondiale s'entendent pour dire qu'un mois en temps Internet équivaut à une année en temps réel. La toile mondiale se métamorphose constamment à la vitesse de l'éclair sous les yeux de l'Internaute : une absence d'à peine quelques semaines et le voilà submergé de courriels; de nouveaux sites naissent toutes les secondes, d'autres disparaissent.  

Jacques Attali a très finement  décrit le Web : « Quiconque a essayé un jour d'entrer dans Internet sait qu'il ne faudrait pas parler d'autoroutes de l'information mais plutôt de labyrinthes : gigantesque enchevêtrement de ruelles et d'impasses, de bibliothèques et de cafés, le réseau se compose de mille chemins qui souvent se terminent en impasses. Internet ressemble plus au labyrinthe d'une ville médiévale, sans véritable architecte, qu'au bel ordonnancement d'une autoroute.  Malgré cette agitation incessante et l'anarchie qui y règne, Internet s'est  imposé pour beaucoup comme un outil indispensable dans leurs activités quotidiennes. » 

L'absence de frontières physiques entre les pays dans l'Internet favorise le multiculturalisme et la création de communautés virtuelles de spécialistes dans des domaines très ciblés, ainsi que la libre communication entre les intervenants de ces groupes. La diffusion, la mise à jour et la consultation des documents électroniques se font désormais instantanément, quelle que soit leur provenance dans le monde. 

Internet apparaît comme une grande agora où l'on peut, d'un simple clic de la souris, contempler l'activité humaine de par le monde. Jacques Attali poursuit : « Internet c'est la porte d'entrée dans tout l'univers virtuel, dans ce que j'ai appelé le septième continent, c'est-à-dire un univers nouveau où on pourra faire tout ce qu'on fait dans la réalité : acheter, vendre, travailler, se distraire, faire semblant de vivre, comme on fait dans la réalité d'ailleurs. Donc c'est une nouvelle Amérique. Il y a une loi d'airain qui fait qu'un espace ne peut être véritablement structuré que s'il devient un champ de foire. Internet, l'espace virtuel, va devenir un champ de foire et c'est très bien ainsi.  Or les marchands de cette foire, qui avaient pignon sur rue, n'ont souvent plus qu'une adresse URL, nouvelle mesure de la proximité des clients, qui de concitoyens sont devenus des cybercitoyens . Ce nouvel environnement imposé par le Web, qui est vite devenu un passage obligé pour le commerce, a complètement transformé les lois de la concurrence. Toute entreprise ou organisation qui veut rester un chef de file sur la toile mondiale se doit de veiller (ou d'exercer une vigie) dans son domaine d'intérêt au risque d'être dépassée. »
  
Carlo Revelli, spécialiste de la veille Internet, dans son livre intitulé Intelligence stratégique sur Internet, justifie en ces termes la nécessité de veiller : « L'information se renouvelle à une telle vitesse sur Internet qu'il est humainement impossible de suivre l'évolution de l'actualité d'un secteur économique ou l'apparition d'innovations technologiques. Même si vous obligez une personne à rester branchée nuit et jour sur Internet pour surveiller ne serait-ce que dix sites assez volumineux, vous n'obtiendrez pas de résultats satisfaisants. La quantité d'informations est trop importante pour qu'un être humain puisse détecter tous les changements qui ont eu lieu. »
 
Dans un article publié dans l'Actualité terminologique, Marc Laforge parle de « competitive intelligence » en ces termes : « ... la competitive intelligence est l'utilisation de la surcharge informationnelle à bon escient, disons de manière  intelligente, d'où le nom. Cette activité consiste à trier l'information pertinente, à l'organiser, à la structurer d'une façon cohérente, à en faire la synthèse afin de permettre aux décideurs de prendre des décisions plus éclairées et, au bout du compte, d'acquérir un avantage compétitif sur la concurrence en Europe, on parle surtout et beaucoup d'intelligence concurrentielle. Au Canada, on privilégie « veille concurrentielle ou stratégique »
  
Bernard Dousset, Taoufiq Dkaki et Saïd Karouach, auteurs sur le veille , définissent  « competitive intelligence » comme « la pratique qui englobe les actions de collecte, analyse et diffusion des informations en vue de rendre plus intelligible l'environnement de l'entreprise. En cherchant à anticiper les évolutions du marché par une mise en valeur des informations et des connaissances, la veille a pour objectif d'accroître l'adaptabilité de l'entreprise à son marché. » Ils distinguent la veille commerciale, la veille concurrentielle, la veille stratégique, la veille juridique, la veille scientifique, etc. On pourrait certainement y ajouter la veille langagière, dont l'importance est plus que justifiée par le fait que la barrière linguistique freine la libéralisation de la communication intégrale entre les peuples sur Internet, d'où une prolifération de  mesures palliatives.  

La vitrine mondiale d'Internet ouvre des portes à tous les commerçants du monde qui sont soudainement confrontés au plurilinguisme, d'où l'apparition d'une multitude d'outils langagiers et de technologies permettant d'aplanir les différences linguistiques qui nuisent au commerce électronique : logiciels de traduction automatisée des courriels ou de sites complets, moteurs translingues capables, à partir d'une mémoire de traduction, d'interpréter dans plusieurs langues une demande formulée en langage naturel, et j'en passe.
   
Étant donné que le Web est un passage obligé et que, par surcroît, il contient une quantité astronomique d'informations, toute organisation ou entreprise désireuse de demeurer concurrentielle doit effectuer des activités de veille en mettant sur pied une  cellule de veille. La veille est un processus de mise à jour régulière d'informations. Beaucoup plus qu'une simple recherche thématique, elle consiste à traquer et à recueillir des renseignements, à les synthétiser et à en déduire les conclusions utiles pour l'adaptation de l'organisation à une situation concurrentielle donnée. 

Le traitement de l'information est confié à des professionnels de la recherche qui font partie intégrante de la cellule de veille. Leur travail consiste à repérer les données concurrentielles appropriées et à les passer au crible afin de trouver l'élément informationnel offrant l'avantage concurrentiel recherché. La cellule de veille se compose d'une équipe de veilleurs actifs, qui reçoit l'appui de tous les membres de l'organisation concernée (veilleurs potentiels ou passifs) à qui l'on fait connaître la nature et l'importance des activités de veille. En font partie un spécialiste des systèmes informatiques, un spécialiste de la recherche sur le Web et un spécialiste du traitement des données qui indexe, ordonne et diffuse dans l'organisation les renseignements recueillis.
 
L'équipe de veille doit faire une distinction entre données et  information. Les données sont des renseignements bruts souvent recueillis à partir de moyens machines qui sont susceptibles de servir à établir des relations, des prévisions, sinon des futuribles. L'information est, en général, un ensemble cohérent significatif pour l'organisation, généralement établi humainement à partir des données, que l'équipe doit maîtriser et mettre à la disposition de l'entreprise pour lui donner une position favorable dans un environnement concurrentiel donné. Ces distinctions sémantiques s'établissent selon les étapes suivantes : la validation, qui permet d'établir la pertinence des données brutes; l'indexation des données; la synthèse, qui consiste à interpréter et à résumer les informations; la  diffusion au sein de l'organisation. 

Comme je l'ai déjà mentionné, la quantité de données disponibles sur le Web est astronomique et dépasse les capacités d'acquisition et de surveillance humaines. Les outils traditionnels de recherche tels les moteurs de recherche classiques et les répertoires de toutes catégories, bien qu'utiles pour effectuer les recherches courantes, ne suffisent plus pour accomplir les recherches complexes et pointues qu'exigent les activités de veille. 

Voilà où entre en jeu l'agent intelligent. L'agent intelligent est un assistant électronique ou 
un robot de recherche capable d'effectuer en autonomie des tâches répétitives
d'investigation et de surveillance en tenant compte de paramètres et de filtres imposés par le maître. Il doit posséder les attributs suivants : autonomie, adaptabilité, comportement coopératif, réactivité, aptitude sociale et mobilité. L'agent est autonome lorsqu'il peut tenir compte, sans intervention humaine, des besoins, des intérêts et des objectifs de son maître et prendre les initiatives appropriées. 

On dit que l'agent s'adapte lorsqu'il est capable d'apprendre afin d'interagir avec l'environnement extérieur (c'est-à-dire le monde physique, les humains, les autres agents, l'Internet) de sorte que son rendement s'améliore avec le temps. L'agent est réactif lorsqu'il sait percevoir les changements de son environnement, qu'il peut modifier au besoin. L'agent est dit social lorsqu'il peut interagir avec d'autres agents (et possiblement des humains) à l'aide d'un langage qui lui est propre. Dans un environnement multi-agents, l'agent a un comportement coopératif lorsqu'il est capable de travailler avec d'autres agents dans le but de fusionner les informations afin d'atteindre un objectif commun. Enfin, l'agent est mobile lorsqu'il a la capacité de choisir lui-même une direction et de se déplacer vers un lieu du réseau dans le but d'accomplir ses tâches.
 
Dans la pratique, l'agent intelligent doit donc être capable d'apprendre le profil de son maître, d'en tenir compte et de reprendre une recherche en fonction de nouveaux paramètres, d'éliminer les doublons et d'effectuer la synthèse machine des documents résultant d'une recherche, de mémoriser ses expériences et d'en tenir compte, d'adapter son comportement à son environnement, d'assumer des fonctions automatiques de contrôle, de mémorisation ou de transfert d'informations. 

La principale caractéristique de l'agent intelligent est avant tout sa capacité de veille permanente et son assiduité implacable à effectuer des tâches surhumaines face à la complexité et à la quantité des données à scruter sur la toile. Tous les spécialistes s'accordent pour dire qu'aucune organisation ne peut assurer une veille efficace sans le concours d'agents intelligents. Non seulement ces derniers sont infatigables, mais ils soustraient également le veilleur humain  à certaines tâches routinières et rébarbatives.  

Le veilleur doit donc, au début de sa démarche, collectionner des données à l'aide d'agents intelligents. Cette tâche de cueillette est facilitée par la grande diversité des agents de veille, que l'on peut classifier selon leur mode de fonctionnement et leur spécialisation. D'après le mode de fonctionnement, on peut distinguer les agents agissant selon le modèle du tirer et les agents agissant selon le modèle du pousser, cette distinction étant importante puisqu'elle implique la façon dont l'agent entrera en interaction avec l'utilisateur lors de l'accomplissement de sa mission. 

Les agents de tirer impliquent de la part de l'internaute une démarche active, c'est-à-dire qu'il doit rechercher lui-même l'information. Par exemple, les agents agissant par courriel émettent une alerte postale (exemple : Google Alert) chaque fois qu'une adresse présélectionnée et mémorisée a subi des modifications (mise à jour du texte, changement ou ajout de liens, etc.) ou lorsqu'une demande préalablement ciblée et filtrée produit un nouveau bilan de recherche à partir d'un ou plusieurs moteurs de recherche. 

Parmi les agents de tirer, on peut aussi distinguer les agents d'alerte hors connexion (hors ligne), qui sont des logiciels que l'utilisateur installe sur son ordinateur. Il s'agit d'aspirateurs de sites qui se connectent automatiquement au réseau et permettent la copie de sites entiers sur une unité de disque locale à partir de la racine indiquée. Certains de ces agents demeurent en mode de veille permanente afin de lancer une nouvelle alerte à la suite de modifications apportées sur les pages déjà aspirées. 

Les agents de pousser (comme les fils RSS) collectent les données et les transmettent directement et automatiquement à l'utilisateur sans démarche active de sa part, à intervalles réguliers et selon des directives préétablies. Parmi les agents de pousser, on distingue également ceux fonctionnant hors connexion et ceux agissant en ligne. Les agents de pousser en ligne sont des sites accessibles au moyen d'un identifiant  et un mot de passe qui permettent de personnaliser une page Web affichant les résultats d'une recherche à partir de certains filtres et paramètres. Ces sites permettent de générer de véritables bulletins d'information personnalisés en ligne. Les agents de pousser hors connexion effectuent les mêmes tâches que les agents en ligne mais nécessitent l'installation d'un logiciel client.  

Quel que soit le type d'agent utilisé, l'objectif de la veille est toujours la collection rapide de données très spécifiques qui permettent à une organisation de faire face à la concurrence et de s'assurer une présence prépondérante devant la croissance fulgurante et le gigantisme du Web.  Les agents intelligents,  ces créatures numériques qui habitent le Web et qui y vivent en permanence, s'imposent pour accomplir cette tâche. Ce sont des robots veilleurs assidus, ponctuels et implacables qui surpassent les capacités humaines de résolution et d'assimilation des données.
  
Pour le profane, les agents intelligents peuvent  trouver leur utilité dans le domaine des achats en ligne. L'agent de magasinage, par exemple, s'avérera souvent indispensable devant la taille du Web afin de comparer les prix tout en tenant compte de la qualité des produits. Il sera en alerte 24 heures sur 24 à la recherche de la meilleure offre pour l'achat d'un ordinateur dont les spécifications techniques auront été imposées par l'utilisateur. Ce fidèle serviteur informera régulièrement son maître des meilleurs achats à faire à l'aide d'alertes sous forme de bilans contenant les renseignements pertinents. 

Quoi que que l'on puisse affirmer sur la toile mondiale, il faudra toujours se rappeler qu'elle est en constante mutation. S'il est vrai que la réalité virtuelle change dans le rapport un mois internet égale une année en temps réel, il en va de même des agents.  Donc, au moment de lire ce billet il sera déjà temps pour moi de songer à en faire une nouvelle description! 
  
Sources

  • Carlo Revelli. Intelligence stratégique sur Internet, 2e édition, 1999, 220 pages. ISBN : 2 10 0005154 7. 
  • H.S. Nwana and D.T. Nduma.AAn Introduction to Agent Technology,@BT Technology Journal, Vol. 14, No. 4, ctober 1996.

  • Pattie Maes. AHow to do the right thing,@AI-Laboratory, Vrije Universiteit Brussel and AI-Laboratory, Vrije UniversiteitBrussel, Massachusetts Institute of Technology.
  • Michael Wooldridge and Nicholas R. Jennings. AIntelligent Agents : Theory and Practice,@ Knowledge Engineering Review.
  • David L. Martin, Adam Cheyer and Gowang-Lo Lee. ADevelopment Tools for the Open Agent Architecture.@
  • Andreas Rasmusson and Sverker Jansson. APersonal Security Assistance for Secure Internet Commerce.@
  • Don Gilbert and Peter Janca.AIBM Intelligent Agents @.
  • Philip R. Cohen, Adam Cheyer, Michelle Wang and Soon Cheol Baeg. AAn Open Agent Architecture,@ SRI International, Stanford University, ETRI.



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